Dbloc notes

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Nougaro premier concert

Objectivement parlant, à douze ans, on n'est pas un homme ; et plus encore dans cette année, que le beau Serge nous prédisait érotique (je ne sais même pas si je connaissais ce mot, et certain j'ai compris quand on avait largement changé de dizaine) maintenant , les enfants semblent au courant de tout. A 12 ans donc,  dans les yeux de sa grand-mère on est encore un tout petit enfant, même si à l'intérieur on sait bien qu'on n'est plus un môme et qu'on a envie de grandir. Alors quand pour l'anniversaire des 12 ans, cette adorable grand-mère vous propose d'aller au cinéma, voir le Disney du moment, (je crois  que c'était le livre de la jungle), malgré toute l'affection qu'on a pour elle, on voudrait lui arracher les yeux ! Comment ne pas comprendre à ce point, l'amour rend aveugle, dit-on, ça doit être vrai aussi pour l'amour qu'on a pour « ses petits ».
Heureusement, mes deux cousines les plus proches, 5 et 7 ans de plus que moi, veulent me faire un cadeau, ça doit être pour récompenser ma discrétion sur les grands couillons qui viennent leur parler et les emmener se promener en tête à tête quand elles m'emmènent « au parc », pour me dire merci d'avoir accepté, alors que je n'en n'avais plus envie et qu'elles me demandaient de dire oui.
    Comme elles étaient allées voir quelques chanteurs, pour faire comme les grands, j'ai demandé ça « voir un chanteur en vrai ». ça a failli être Bécaud, plus de place (ou trop cher, elles ne sont plus d'accord) en tout cas ce fut Nougaro.  Je connaissais « je suis sous » que je chantais en ajoutant des con con pour faire écho au « sous ton balcon », «  la pluie fait des claquettes », « le jazz et la java »     peut être quelques autres, mais je n'en suis pas sûr ; Le commentaire  familial à l'annonce du spectacle fut laconique « à côté de son père…. , mais il a de la voix », en plus le jazz et le rock « c'est un truc d'américain ». Et puis ce fut le concert
Un concert à l'ancienne, dans une salle qui faisait aussi cinéma et qui déroulait un rideau avec des publicités peintes à la peinture fluo pendant qu'on attendait. Une première partie, un groupe quelconque, une attraction une dame avec des caniches blancs, et puis le spectacle…
   Oh, la vache ! j'en ai pris plein le nez, on était venu très tôt avant  pour être dans les premiers rangs.  De la lumière, des musiciens et un bonhomme dans la lumière en chemise sombre, qui nous attrapait et boxe boxe, il m'a foutu KO. C'était à peu près le spectacle de l'Olympia sortie en disque au noël suivant.  Et  je me l'étais offert avec « mes sous » acheté avec ma grand mère qui m'avait emmené chez le « disquaire » de la rue principale de Rouen, « demande ce que tu veux à la dame »  --un disque de Claude Nougaro  --Lequel ? nous avons… » et elle me sort des disques des petits des moyens et des grands, il y avait même un double album en public (ça s'appelait pas un live personne aurait compris) c'était ça, la photo c'était comme mon concert, je voulais celui-là. « -le son est moins bon qu'en studio », je l'aurai tuée, manquerait plus que ma grand mère insiste pour que je prenne un autre mieux et moins cher, heureusement elle avait décidé que je ferai comme bon me semblerait, ça dépassait un peu, moins de 5francs mais c'était quelque chose, elle a mis au bout et m'a dit décolle l'étiquette avec le prix sinon tes parents vont râler.  Je suis rentré tout fier, et j'ai dû attendre d'être chez mes parents pour l'écouter,  « le tourne disque » de ma grand mère était réputé pour ruiner les disques, normal il passait aussi des 78 tours de Tino Rossi ou de Berthe Sylva (je veux dire que le saphir était ruiné, pas que c'était Berthe ou Tino qui abîmait le disques, je veux pas d'histoire).  Arrivé chez moi, négociation pour avoir accès à l'appareil familial, hors de question que je le risque sur mon vague teppaz, j'ai pu l'écouter, enfin en deux fois, parce que les 2 disques à la file ça le faisait pas , fallait retourner  dans le « répertoire ». Coup de bol, l'année suivante, j'ai eu un cadeau groupé : un magnéto à cassette, j'ai pu copier mon disque et le passer en boucle, enfin à l'époque fallait tourner les cassettes et elles faisaient qu'une heure parce que les 120 au bout de 3 ou 4 passages avec marche avant arrière pour retourner sur le début de la chanson du moment, elle faisaient des n½uds. A chaque fois, il me suffisait de fermer les yeux pour me refaire le spectacle, l'entrée en scène, le petit taureau, les quatre boules de cuir,   la petite fille qui courait sous la pluie je revoyais les gestes, la fuite sur les toits après le hold-up (j'ai vu le film longtemps après) , Toulouse est apparue dans le soleil couchant avec ses odeurs méridionales, mélanges des herbes parfumées et des odeurs lourdes du canal en été, Monsieur Nougaro avait fait jouer son cinémots, (c'est pas de moi, c'est de lui), il m'avait ouvert les portes des standards du jazz.
J'étais persuadé que Claude m'avait fait plusieurs sourires, mais en réfléchissant bien, j'étais entre mes deux cousines, et je n'en suis plus sûr du tout, sûr des sourires oui, qu'ils m'étaient destinés, moins, ou alors seulement un, amusé de voir un « gamin » à son concert.

Dans les semaines suivantes nous devions réciter un poème au choix, j'avais choisi les conquérants de José Maria de Hérédia,  la prof avait essayé de me décourager « trop dur », j'avais tenu bon trop content de pouvoir dire ce genre de texte sans bégayer ni chuinter, « comme un vol de gerfaut hors du charnier natal… «  j'en avais plein la bouche, des mots de toutes les couleurs et de toutes les saveurs, des que je ne comprenais pas mais qui sonnaient. « très bien, pour le ton et le texte, mais il n'était pas nécessaire de faire le clown et d'imiter Claude Nougaro , vous n'êtes plus au concert ! »,  elle y était elle aussi, moi je ne l'avais pas vu, j'avais pas envie d'expliquer que c'était mon grand père qui me faisait repasser ma récitation le midi et qu'entre les mots difficiles à articuler et à mémoriser et les reliquats d'accents.., « venus de Palos de Moguer, routiers et capitaines  ivres d'un rêve héroique et brutal… inclinaient leurs antennes au bord du monde occidental…..

   Je l'ai revu sur scène maintes fois, croisé dans la vie parfois, un sourire complice et  j'ai jamais osé le déranger. J'avais résolu de le faire et le rendez-vous était pris, mais la dame en noir en a décidé autrement. Je le regrette pour moi, pour celle qui devait m'accompagner et aussi parce que depuis au travers de ces écrits, j'ai compris que s'il se défendait d'avoir autre chose à dire à son public  que ce qu'il chantait, il avait toujours  eu un fond de doute et d'angoisse sur son travail, mais qu'il était bien sur scène….

free music


28/05/2007
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